20 mai 2005

Polémiques autour de l'application de l'article 434-7-2 du Code pénal aux avocats

Née du choc du 11 septembre 2001 et du sursaut sécuritaire de la campagne présidentielle de 2002, la loi du 9 mars 2004 sur la criminalité, dite « loi Perben II », avait suscité bien des inquiétudes et des protestations. Derrière plusieurs de ses novations - le doublement de la durée de la garde à vue ; l'allongement des enquêtes de flagrance ; les perquisitions de nuit ; l'introduction du plaider- coupable -, les avocats, qui avaient protesté par une grève des audiences en février 2004, voyaient une extension des pouvoirs de la police, un renforcement des pouvoirs du parquet et une réduction des droits de la défense, au détriment des libertés individuelles.

Mais ce texte recelait aussi d'autres dangers potentiels. La loi Perben a ainsi introduit dans le code pénal un article 434-7-2 qui crée un nouveau délit quant à la « révélation d'informations issues d'une instruction en cours ». Sont visés les avocats, mais aussi les policiers, les magistrats, les greffiers dès lors qu'ils divulguent des informations « de nature à entraver le déroulement des investigations » ou « la manifestation de la vérité ». Conformément aux principes du droit, ce délit, qui peut être puni jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, doit donc être intentionnel.

Incarcérée à Bourges depuis le 18 avril, une avocate toulousaine, France Moulin, est ainsi la première victime de l'article 434-7-2. Deux juges d'instruction d'Orléans, qui enquêtent depuis deux ans sur des faits de blanchiment d'argent lié à un trafic de cannabis, soupçonnent Me Moulin d'avoir livré des informations à un proche de son client, permettant à celui-ci de dissimuler une trentaine de kilos d'or. Devant le placement en détention, tout à fait exceptionnel, d'un avocat, toute la profession s'est mobilisée et menace même de se mettre en grève. Une nouvelle demande de mise en liberté a été déposée et la procureure d'Orléans a requis, le 3 mai, le placement sous contrôle judiciaire de l'avocate.

Les garde-fous que les parlementaires avaient cru introduire, comme l'amendement du sénateur (PS) Robert Badinter, ancien garde des sceaux, prévoyant que l'article 434-7-2 devait s'appliquer « sans préjudice des droits de la défense », s'écroulent comme un château de cartes. Dominique Perben, le ministre de la justice, qui avait tenté de rassurer les avocats au moment du débat parlementaire, en soulignant que son nouvel arsenal répressif était réservé à la lutte contre le crime organisé, a reçu, le 3 mai, une délégation d'avocats.

M. Perben exclut une abrogation de l'article 434-7-2. Un groupe de travail devra rendre plus précise la rédaction de l'article incriminé. Le ministre donne le sentiment de dégager en touche en appliquant la règle édictée par Georges Clemenceau, selon laquelle lorsqu'on veut enterrer un problème on crée une commission. Dans la patrie des droits de l'homme, à laquelle se réfère Jacques Chirac, le respect des droits de la défense n'autorise pas de réponse dilatoire. Et il ne justifiait pas davantage le maintien en prison de Me Moulin.

La libération de l'avocate toulousaine France Moulin, incarcérée pendant près d'un mois pour "divulgation d'information", n'a pas suffi à apaiser les avocats. Mieux, ils ont saisi cette affaire pour étendre leurs revendications et défendre "les droits de la défense", qu'ils considèrent menacés. La profession profite de la date symbolique de la Saint-Yves, patron de la justice, pour se mobiliser, jeudi 19 mai.

01 mai 2005

La production de références par un avocat candidat à un marché ne porte pas atteinte au secret professionnel

Est-il possible pour un avocat de faire mention de ses références sans porter atteinte à la loi n°90-1259 sur le secret professionnel ? La réponse est positive. La Communauté urbaine de Lyon avait interdit pour son marché de prestations juridiques la production de références professionnelles. Elle a eu tort puisque le Conseil d'Etat a estimé qu’il était possible pour les avocats de faire état de leurs références professionnelles sans aller à contrario de leurs obligations de discrétion. Avec toutefois un petit bémol : le secret sera respecté si aucune mention nominative n'est apportée...



Depuis le 7 mars 2005, une jurisprudence a enfin statué sur la délicate question relative à la candidature des cabinets d’avocats à la passation des marchés publics. Une date qu’il faudra peut-être retenir car elle apporte de nombreuses précisions sur le sujet. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat indique que la production de références professionnelles par des avocats candidats à un marché public ne porte pas atteinte au secret professionnel. Il stipule de façon méticuleuse que « le secret régissant leurs relations avec leurs clients est respecté dès lors que les renseignements qu’ils apportent ne comportent pas de mention nominative et ne permettent pas non plus d’identifier les personnes qui ont demandé les consultations au travers d’indications sur les circonstances dans lesquelles les conseils ont été donnés. » On imagine alors le dossier de candidature comprenant comme références : la mairie de Y, le conseil régional de X ou la communauté urbaine de W...

Rupture d’égalité constatée

Les achats de prestations juridiques sont actuellement soumis aux dispositions de l’article 30 du code des marchés publics. Ce qui pose parfois un problème aux acheteurs. L’absence de cadre juridique, mais aussi l’influence du droit communautaire poussent les personnes publiques à vouloir se soumettre à un minimum de publicité et de mise en concurrence. C’est en tout cas ce qu’a fait la communauté urbaine de Lyon. Le 25 mai 2004, elle publie un avis d’appel public à la concurrence en vue de la passation d’un marché de prestations de conseil juridique hors contentieux. Son avis d’appel public à la concurrence mentionne deux critères. Est ainsi requis au titre des candidatures, un curriculum vitae des candidats (titres d’études, expériences professionnelles du ou des responsables et des exécutants de la prestation) et la liste des ouvrages et écrits réalisés dans les revues spécialisées. En revanche est interdite la production des références professionnelles. Ceci afin de respecter « le secret régissant les relations entre l’avocat et son client.» De fait, le Grand Lyon écarte la candidature d'un cabinet soumissionnaire. L'affaire se poursuit devant le tribunal administratif puis devant le Conseil d'Etat.

La haute juridiction estime dans son arrêt rendu début mars que l’interdiction de citer ses références professionnelles combinée avec les deux critères de sélection mentionnés est de nature à créer une rupture d’égalité entre les candidats. D’une part le candidat garde légitimement la possibilité de faire part de ses références professionnelles s’il ne mentionne pas certaines informations, mais d’autre part le fait de sélectionner les soumissionnaires en fonction de leurs écrits peut favoriser certaines structures. Le Grand Lyon devra donc reprendre sa mise en concurrence. Hormis cette information relative à la compatibilité du secret professionnel avec les références professionnelles, cet arrêt apporte d’autres informations. Il rappelle que s’il incombe à chaque candidat de respecter la législation qui lui est applicable, la personne publique n’a pas à rappeler dans ses avis publicitaires les obligations à la charge de la profession. La personne publique doit uniquement « s’abstenir d’imposer des prescriptions qui conduiraient à méconnaître les règles légales et déontologiques s’appliquant à leur profession. »